Le 14 nissan, veille de Pessa'h, il est interdit de manger de manière conséquente durant le dernier quart de la journée. L'objectif de cette interdiction est de nous permettre de consommer la "matsa de mitsva", celle du sédèr, dans les règles, c'est-à-dire avec appétit.
La question qui se pose est alors la suivante: avant la dixième heure, que peut-on manger?
Le Shoul'han Aroukh établit qu'il n'est alors permis de consommer que de la "matsa 'ashira". On appelle matsa 'ashira ou "matsa riche", de la matsa fabriquée à partir de farine pétrie avec du jus de fruits ou des œufs et qui ne permet pas de s'acquitter de notre obligation du sédèr. Comme l'explicite le Rema, il est en effet interdit de manger la veille de Pessa'h de la "vraie matsa", celle avec laquelle nous allons accomplir la mitsva du sédèr (Ora'h 'Hayim, 471:2).
Afin d'illustrer cette dernière interdiction, le Talmud d'Erets Israël rapporte un enseignement de Rabbi Lévi: "Celui qui mange de la matsa la veille de Pessa'h ressemble à celui qui cohabiterait avec sa fiancée dans la maison de son beau-père" (Pessa'him, X:1).
Cette parabole est pour le moins étonnante! Rabbi Lévi n'aurait-il pas pu choisir une parabole un peu moins incongrue?
En vérité, comme nous allons le voir, cette symbolique est tout à fait idoine. Il existe en effet un lien très profond entre la célébration de Pessa'h et celle du mariage.
A un premier niveau d'explication, les commentateurs font remarquer que de même qu'un mariage ne peut être consommé de manière licite avant la récitation des sept bénédictions sous le dais nuptial (sheva' berakhot), de même la matsa du sédèr ne peut être consommée avant la récitation de sept bénédictions:
1. Ha-gefen (bénédiction du vin);
2. Mekadesh Israël ve-ha-zemanim (kiddoush ou sanctification du jour);
3. She-hé'héyanou (bénédiction prononcée pour marquer la nouveauté de l'événement);
4. Boré péri ha-adama (bénédiction du fruit de la terre précédant la consommation du karpass / céleri);
5. Ga'al Israël (bénédiction de clôture du récit principal de la Haggada);
6. Ha-motsi (bénédiction du "pain");
7. 'Al akhilat matsa (bénédiction propre à la mitsva de consommer de la matsa le soir du sédèr).
A un second niveau d'explication, la fête de Pessa'h peut être comparée à la première partie du mariage juif, les Eroussin, à l'issue desquels l'épouse a déjà le statut de femme mariée et se trouve interdite à tout autre homme que son mari, mais sans pour autant que le mariage puisse être consommé.
La fête de Shavou'ot, qui commémore le don de la Tora au Sinaï, symbolise alors quant à elle l'aboutissement des Nissou'in, deuxième partie du mariage, permettant cette fois l'union du marié -- le Saint béni Soit-Il lui-même -- et de la mariée -- la communauté d'Israël.
Quant aux sept bénédictions du mariage, elles sont symbolisées par les sept semaines du 'Omer qui rapprochent -- plutôt qu'elles ne séparent -- Shavou'ot de Pessa'h.
(Il est d'ailleurs d'usage, dans certaines communautés, de lire, lors de la sortie de la Tora le jour de Shavou'ot, une Ketouba [acte de mariage] poétique décrivant cette union et les engagements pris à cette occasion.)
A chacune des fêtes de l'année, nos Maîtres ont associé l'un des Cinq Rouleaux. A Shavou'ot est associé le livre de Ruth, à Soukkot, celui de l'Ecclésiaste... et à Pessa'h correspond celui du Cantique des cantiques, ce qui souligne encore une fois cette symbolique matrimoniale.
Comme chacun sait, la sainteté de ce dernier texte tire en effet sa source d'une lecture allégorique y voyant exprimé l'ardent dialogue amoureux entretenu entre Dieu et la communauté d'Israël.
C'est pourquoi j'aimerais citer en conclusion un commentaire mettant en rapport le Cantique des cantiques et les trois fêtes de pèlerinage (Pessa'h, Shavou'ot, Soukkot). Il est adapté d'un texte de R. Shim'on Schwab (successeur de R. Dr. Joseph Breuer à la tête de la communauté allemande de Washington Heights à New York).
"Que tes pas sont ravissants dans tes souliers, fille d'un homme généreux" (Cantique des cantiques, VII:2).
Au traité 'Haguiga (3a) Rava interprète ce verset comme faisant allusion aux pas des juifs lors du pèlerinage des trois fêtes à Jérusalem, la communauté d'Israël étant ici représentée par la fille de l'homme généreux par excellence, c'est-à-dire Abraham.
Toutefois, cette comparaison semble inappropriée puisque nous apprenons par ailleurs qu'il est interdit de pénétrer sur le mont du Temple chaussé (Berakhot, 54a).
Dans le rituel de Moussaf des trois fêtes, nous demandons à Dieu de "ramener les prêtres à leur service, les lévites à leurs chants et leurs mélodies et les israélites à leurs résidences".
A première lecture, on ne comprend pas ce qu'il y a de comparable entre les vœux formulés pour les prêtres et les lévites d'une part et celui formulé pour les israélites d'autre part.
Il s'agit en fait de mettre en exergue ce qui constitue l'accomplissement ultime du pèlerinage pour les israélites: être capables, après avoir passé la fête à Jérusalem, de rejoindre leurs foyers en y rapportant toute la sainteté, toute l'exaltation, tout l'enthousiasme emmagasinés. Cette idée transparaît également dans le rituel de Kippour lorsque nous récitons: "Combien le grand-prêtre était-il beau à sa sortie du Temple". A sa sortie du Temple plus encore que dans le Temple!
L'interprétation du Cantique des cantiques que Rava a proposée est donc parfaitement juste, puisque la beauté à laquelle le verset fait allusion n'est pas tant celle de la montée à Jérusalem, que celle du retour des israélites dans leurs foyers. C'est pourquoi le texte parle de pieds chaussés, afin d'insister sur le fait que la grandeur d'Israël, sa beauté particulière, résident dans sa capacité à éclairer les jours profanes, les jours quelconques, de la lumière pure et éclatante puisée à Jérusalem durant la fête. C'est cette lumière et elle seule qui lui donne la force spirituelle nécessaire à aborder les semaines et les mois qui le séparent de son prochain rendez-vous (sens littéral du mot "mo'ed") avec la Providence.
Qu'il en soit de même pour nous. Amen.
Sources :
- R. Rephaël Baroukh Toledano, Kitsour Shoul'han Aroukh, § 419:7.
- R. Shim'on Schwab, Ma'yan Beth ha-Sho'eva, New York, 2000, p. 461.
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