jeudi 23 décembre 2010

Chémot : un nouveau pharaon?

A propos du verset selon lequel: « un nouveau roi se leva sur l’Egypte, qui ne connaissait pas Yosseph », Rachi apporte le commentaire suivant : « Rav et Chmouel [s’opposent à ce propos]: l’un dit [qu’il s’agit d’un pharaon] nouveau au sens propre, et l’autre dit que [c’est le même pharaon mais que] ce sont ses décrets qui ont changé.»

Quelle est donc la difficulté qui amène Rachi à citer ces deux opinions, notamment la deuxième où il faut comprendre que c’est le pharaon qui connut Yosseph et ses compétences, qui lui-même entreprit s’asservir le peuple juif? Par ailleurs, comment expliquer que Rachi cite le nom de l’auteur de chacune de ces interprétations (Rav et Chmouel) alors qu’il ne le fait pas en règle générale ?

Pour répondre à ces questions, il faut lire le verset dans son intégralité. Le texte dit : « un nouveau roi se leva sur l’Egypte, qui ne connaissait pas Yosseph ». La fin du verset est difficile à comprendre d’après l’avis de Chmouel: s’il s’agit du même pharaon, que signifie : « qui ne connaissait pas Yosseph »? Rachi apporte la réponse suivante : « il faut comprendre qu’il fit semblant de ne pas connaître Yosseph ». Mais d’après l’avis de Rav, la fin du verset est tout aussi difficile à comprendre. Comment accepter que le successeur immédiat du pharaon, dont certains des sujets étaient contemporains de Yosseph, ne le connaisse pas? Nous sommes donc contraints de dire que pour Rav comme pour Chmouel, la fin du verset doit être comprise au sens figuré: il s’agit d’un pharaon qui fit mine d’oublier tous les bons et loyaux services de Yosseph. Au final, il apparaît que le but de ce verset n’est pas de faire un rappel historique mais de souligner l’ingratitude du pharaon (quel qu’il soit) qui asservit le peuple d’Israël. Et en citant les noms de Rav et Chmouel, Rachi donne en allusion deux axes de compréhension quant à la nature de cette ingratitude.

En effet, le Talmud (Békhorot, 49b) nous apprend que la loi juive est toujours tranchée comme Rav dans le domaine des interdictions rituelles (en hébreu «Issouré») et comme Chmouel pour ce qui concerne les litiges financiers (« Mamoné»). Les commentateurs expliquent cette règle du fait que Rav était confronté en permanence à des problématiques liées aux interdictions rituelles alors que Chmouel était toujours sollicité pour des litiges financiers. Chacun avait donc acquis une grande profondeur de compréhension dans son domaine et le Talmud a choisi de trancher selon le domaine de prédilection. Or, les questions d’interdictions rituelles relèvent de la relation de l’homme à D.ieu alors que les litiges financiers engagent l’homme vis-à-vis de son prochain. Il faut donc en déduire que Rav a tendance à analyser lesproblèmes par rapport à la relation à D.ieu. C’est pourquoi il pense qu’il s’agit d’un nouveau pharaon au sens propre qui n’a pas connu personnellement Yosseph. Son manque de reconnaissance est donc essentiellement d’ordre moral, vis-à-vis de D.ieu qui est témoin de l’histoire. Par contre, Chmouel se concentre sur les devoirs de l’homme vis-à-vis d’autrui. Pour lui, le verset vient donc souligner qu’il y a ingratitude par rapport à une personne et dans cette perspective, il faut considérer que c’est le même pharaon, qui a connu Yosseph, et qui entreprend malgré tout d’asservir ses descendants.
Pour conclure, on pourra tirer enseignement de l’attitude de Moïse devant un tel personnage. En effet, Moïse se rendit chez le pharaon« avec le bâton de D.ieu dans sa main». Car devant ce pharaon, modèle des oppresseurs de notre histoire, seules la fermeté et la fierté de notre identité juive, symbolisées parce « bâton de D.ieu », nous guident sur la voie de la liberté matérielle et spirituelle.

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